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Cinéma français : un juste ou injuste milieu ?

Le 29 décembre 2012 paraissait dans Le Monde une tribune de Vincent Maraval, distributeur et producteur, fondateur de la société de distribution de films Wild Bunch qui fustigeait un système de financement à la dérive et que personne (ou presque) ne remet librement en cause. Malheureusement, le titre de sa missive « Les acteurs français sont trop payés ! » a cristallisé quasiment toutes les réactions qui ont suivi sur une guéguerre de chiffres et de cachets (bien aiguillonné il est vrai par la surmédiatisation de l’exil fiscal de Depardieu) au lieu de s’intéresser au véritable enjeu du problème.

De même, des contempteurs auront reproché injustement au producteur de vouloir réduire en cendres le CNC et le système d’aides et autres subventions alors qu’au contraire il en pointe les dérives pour mieux l’assainir et dégripper ses rouages. Mais bon, faut comprendre aussi, c’est tellement plus provocateur et « sexy » de parler des sommes mirobolantes de quelques « superstars », cela touche tout le monde en ces temps de crise, c’est plus parlant. Mais c’est surtout affreusement réducteur.

Illustration parfaite avec la réponse de Serge Toubiana (ancien critique des Cahiers du Cinéma et désormais à la tête de la Cinémathèque Française) qui se focalise sur des points particuliers et obérant par conséquent une analyse globale. « Mais le plus grave, à mon sens, c’est que le coup de balai de Maraval risque de montrer du doigt tout le système de financement du cinéma français, qui fonde son « exception culturelle » : l’obligation imposée aux chaînes publiques et privées de participer au financement des films. À force de répéter que le cinéma décline à la télévision, supplanté par « Les Experts et la Star Ac », les politiques auront beau jeu de remettre en cause tout l’arsenal juridique mis au point depuis de longues années pour protéger la production française, avec les résultats que l’on connaît : plus de 200 films français produits chaque année, une part de marché non négligeable, ce qui fait du cinéma français un cas unique dans le monde. Comment, après un tel article, aller plaider la cause de l’exception culturelle devant la Commission de Bruxelles, toujours prompte à rabattre le cinéma sur une économie libérale dépourvue de tout système de protection et d’incitation ? Comment, par exemple, faire enfin approuver par Bruxelles le fait de taxer les fournisseurs d’accès, dont la contribution au financement du cinéma est un élément stratégique aujourd’hui ? »

Ce qui compte c’est de préserver un système plutôt que d’en repenser les termes et surtout pas de questionner ce qui a pu mener aux dérives actuelles : une frange d’acteurs surpayés (Dany Boon, Lemercier, Gad Elmaleh, etc) fragilisant l’équilibre budgétaire des productions et les entraînant dans une course inflationniste où les sommes investies servent à rétribuer en trop grosse partie ces stars plutôt que les autres branches du métier pour tenter de proposer le meilleur film possible.

Julien Hairault, rédacteur pour la revue de cinéma Versus, revenait, sur facebook, sur ce que représente l’exception culturelle française (et dont Maraval n’a jamais exprimé l’envie de la voir disparaître), son importance dans le paysage du ciné français  : « Dans ce débat un peu ridicule, on oublie que le “système” français (notre argent : le CNC, la TSA que chaque spectateur paie) ne subventionne pas seulement les gros salaires de nos acteurs et la création, mais aussi les salles de cinéma, leur rénovation, les équipements numériques, les festivals etc. L’exception culturelle à la française doit aussi et surtout se voir à travers le parc inégalé ailleurs de ses salles, petites ou grandes, qui font un travail remarquable pour la plupart, et qui nous permettent de voir une diversité de films incomparable. Laissons le cinéma français se financer comme le veut Bruxelles, ou sur le modèle américain, et nous n’aurons que nos yeux pour pleurer dans dix ans. Le véritable problème dans ce “système”, c’est le rôle de la télévision. »

Ce que pointe Maraval. Pour rappel : « Mais à quoi servent de tels cachets si les résultats ne se matérialisent pas en recettes économiques ? En réalité, ils permettent d’obtenir le financement des télévisions. Black Swan se finance sur le marché. Il n’y a dans son financement aucune obligation, aucune subvention, l’acteur est donc payé pour ce qu’il vaut, 226 000 euros. Mesrine, en revanche, a besoin de ce financement pour exister, ce qui explique que l’acteur se retrouve avec un pouvoir de vie ou de mort sur le projet, et ce en fonction de sa valeur télé. Il réclame donc sa part du gâteau. Lui sera payé entre 1 et 1,5 million d’euros. Qui peut l’en blâmer ? Cela devrait vouloir dire qu’il touche là le fruit de sa notoriété sur le marché télévisuel. Sauf que le cinéma enregistre des contre-performances à la télévision. Sans les obligations légales issues de notre système public de financement, il y a bien longtemps que “Les Experts” et la “Star Ac” auraient réduit à néant les cases “Cinéma” des chaînes de télévision. »
On peut quasiment parler d’ingérence de la télévision sur le monde du cinéma puisque ils pensent d’abord à rentabiliser leurs investissements par les multiples diffusions télévisuelles (plus facile avec des grosses pointures) plutôt que de penser en amont à aider à fabriquer le meilleur produit possible où la séduction du plus grand nombre ne passerait pas forcément au détriment des velléités artistiques de leurs auteurs.

De plus, le système actuel n’est pas la panacée pour stimuler le talent de jeunes réalisateurs. Au contraire, il a tendance à les conforter dans un confortable conformisme. D’autant qu’il est difficile d’obtenir de précieux subsides de la part du CNC dès lors que l’on ne formule pas une vision du monde compatible.

Et puis, l’exil artistique provisoire de certains de nos plus talentueux réalisateurs (Siri, Kassovitz, Valette, Aja ont au moins réalisé un film aux Etats-Unis) devrait questionner sur l’incapacité du système à favoriser des visions hors-normes.

Car le spectre de la diversité est assez réduit puisque bon an mal an, la production cinématographique française se partage en œuvres auteurisantes faisant du pied à un intellectualisme de dandy qui intéressera quelques milliers de péquins, les films dit du deux-pièces-cuisine existentiel (personnages en crise affective dans un appartement, parisien et cossu, de préférence) ou les comédies gras du bide en appelant aux plus vils instincts de beaufitude de spectateurs peu regardants sur la qualité. Peu de places pour des alternatives intermédiaires alliant à la fois inventivité formelle et narrative et capables de fédérer un large public, ce que l’on désigne sous le terme de films du milieu. Des films esthétiquement recherchés et populaires, comme Nid de Guêpes, L’Ennemi Intime, L’Ordre Et La Morale, les films d’Yves Boisset (Le Prix du Danger, Canicule…), ceux d’Henri Verneuil (Un Singe En Hiver, Peur Sur La Ville, I Comme Icare…) sont délaissés au profit de plus grosses « machines » sans âme (Astérix au service de sa majesté, Stars 80, Les Seigneurs pour ne citer que quelques exemples de 2012).

Une voie du Milieu que la cinéaste Pascale Ferran avait essayé de relancer, de ramener dans le viseur, lors de la cérémonie des Césars de 2007, puis quelques mois plus tard ( en avril 2008), avec douze autres, avec le rapport indépendant Le milieu n’est plus un pont mais une faille et qui déjà à l’époque relevait les problèmes du financement public du cinéma français. Mais on ne peut pas dire que cela ait eu beaucoup de répercussions puisque le coup de gueule de Maraval a surpris tout le monde.

Florent Emilio Siri expliquait cela très bien dans une interview de 2008. Le pire étant que ses propos sont parfaitement encore d’actualité : « Aujourd’hui il y a un vrai problème. La mise en scène, en France, ça n’existe plus. On a oublié que l’essence du Cinéma est visuelle, que c’est un art du Muet, qu’on s’y exprime avec des images. Mais on préfère se couper les bras. Je trouve que la Nouvelle Vague a fait beaucoup de mal au Cinéma français et beaucoup de bien au Cinéma américain, qui a su utiliser ce qu’elle avait de mieux à proposer. Les américains ne se sont jamais déconnectés du public et de la mise en scène. En France, être un auteur, ça se réduit presque à n’être qu’un concept. Mais le Cinéma ce n’est pas un Art conceptuel ; on ne se dit pas « tiens je vais peindre juste en rouge » ou « tiens je vais ne filmer qu’à l’épaule ». On ne peut pas réduire un film à ça. Il y a une très large palette pour se connecter à des émotions ; il faut utiliser cette palette dans toute sa largeur. Du coup on se retrouve avec d’un côté un Cinéma d’auteur sans mise en scène, qui ne propose que du concept (je ne citerai pas de noms) et de l’autre un Cinéma populaire, centré sur l’acteur, où il n’y a pas de mise en scène non plus mais juste de la mise en image. Et entre les deux, rien ! »

D’ailleurs, un journaliste du New-Yorker, exprimait, entre autres, sensiblement la même chose en décembre dernier dans un papier revenant sur la tourmente provoquée par Maraval : « It’s the art-film industry—or, all too often, some soft-centered version of art films—that sustains the image of French films around the world, often less by way of inventive artistry than by a culturally-toned range of subject that substitutes genteel intellectualism and superficial politics for cinematic audacity.

La prise de parole de Vincent Maraval aurait dû amener la réflexion sur ce terrain-là mais la plupart des commentateurs se sont, une fois encore, contenté de la surface, de ce qui brillait, ou de minimiser les propos énoncés (et parfois tancer le producteur qui était partie prenante de certains des échecs commerciaux pointés du doigt), afin de ne pas perturber outre mesure l’ordre des choses (mais puisque on vous dit que c’est pour préserver le merveilleux système de financement du cinéma français !).

On laissera le mot de la fin à Nicolas Bonci du webzine ciné L’ouvreuse qui en conclusion du remarquable dossier récapitulant les tenants et aboutissants de ce Maravalgate, exprime les seules interrogations qui vaillent ; « Au milieu de la mêlée, tout le monde cherche à protéger sa gamelle mais peu semble intéressé à l’idée de se poser de vraies questions : pourquoi les stars ne fédèrent plus les spectateurs ? Pourquoi sommes-nous résignés à tous les niveaux à croire que seules les grosses comédies puissent drainer de l’audience ? Que restera-t-il du cinéma lorsqu’il n’y aura plus de télévision ? Comment mieux s’exporter si notre marché est trop étroit ? Pourquoi insiste-t-on autant sur les premiers films produits et oublie-t-on tout suivi ? Et surtout, qui mesure ces “bénéfices culturels” censés prouver la vertu de ce système que le-monde-entier nous envie ? Sont-ce les mêmes qui ne trouvent même plus révoltants que l’unique moyen de financer le cinéma est de produire des comédies pour la télé avec des vedettes de la télé par des professionnels de la télé ? Sont-ce les mêmes qui estiment que tout ira bien tant le grand public crachera au bassinet pour consommer des films ringards et ainsi financer leurs “films d’auteur” choyés ? Est-ce cela un “système sain et vertueux” ? Accepter qu’on donne de la daube au grand public tant que l’on a ses petits canapés aux truffes ?
Il semble donc acté que ce qui doit rapporter de l’argent puisse se contenter d’une qualité douteuse, et ce qui doit apporter un “bénéfice culturel” rester dans un flou artistique. Ce n’est pas un système de financement qui est ainsi protégé par ce vacarme, mais un système de valeurs. »

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